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Héritage chamanique, la transe cognitive : mieux la comprendre pour mieux se comprendre

26 juillet 2019

L’un de ses reportages conduit Corine Sombrun en 2001 en Mongolie, où le chamane Balgir lui annonce qu’elle est chamane. Elle suivra pendant plusieurs années un enseignement spécifique à la frontière de la Sibérie avec une chamane de l’ethnie des Tsaatans.

Vous avez largement contribué à faire comprendre l’état de transe. Pouvez-vous nous expliquer les facettes de ce potentiel ?

La transe est pratiquée par des populations ancestrales au travers du chamanisme. On a longtemps pensé que ce potentiel d’accès était réservé aux chamans. Grâce à mon parcours, on a pu effectuer des recherches avec des scientifiques pour savoir si on pouvait accéder à la transe sans passer par des inductions traditionnelles telles que les psychotropes, le tambour ou la danse. On a découvert que ce potentiel était accessible au plus grand nombre et pouvait être induit par la seule volonté.

Quelles ont été les étapes à franchir pour parvenir à ces résultats, et ainsi mieux comprendre le potentiel de la transe ?

Je travaille depuis 2006 avec des chercheurs dans le but de comprendre les mécanismes cérébraux liés aux états de transe. Ces recherches sont à l’origine de la première publication scientifique sur la transe chamanique mongole (Flor-Henry et al. 2017). En 2015, j’ai collaboré à un programme de recherche pour induire la transe par des séquences sonores, puis par la seule volonté. Ce programme, testé sur plus de 500 volontaires a permis à 85% d’entre eux de vivre un état de transe, démontrant qu’il n’est pas un don réservé aux seuls chamans, mais bien une capacité de tout cerveau humain. Ces résultats ont initié de nouveaux protocoles de recherches, notamment au CHU de Liège sous la direction de Steven Laureys et la création du TranceScience Research Institute, un réseau international de chercheurs investis dans les études neuroscientifiques des mécanismes, et des applications thérapeutiques liés à ce potentiel, désormais appelé « Transe cognitive (source Corine Sombrun) »

Selon vous, quelles sont les capacités nouvelles auxquelles on a accès quand on est transe ?

La transe semble ouvrir une fenêtre sur une intelligence et des processus infra-conscients dont nous n’avons en général aucune idée et dont cet état nous rend soudain le témoin. Le corps se met à bouger, nous produisons des sons, notre force augmente, la sensation de la douleur diminue, la perception du temps est modifiée, nous avons accès à un champ d’informations peu accessible en état de conscience ordinaire, et tout cela sans que nous l’ayons induit de façon volontaire. L’état des connaissances sur ce phénomène de transe en est encore à ses débuts, mais nos recherches nous permettent déjà de penser qu’elle est à la fois un outil d’exploration d’une réalité sous-jacente et un outil de développement cognitif. Elle semble aussi donner un accès amplifié à certains processus de guérison et à des mécanismes d’apprentissage intuitif, comme ceux utilisés par les bébés pour « apprendre sans avoir à apprendre ». Ce qui reste encore un mystère pour la recherche sera donc peut-être un jour élucidé par l’étude de ces états « intuitifs » de conscience.

A la Convention, Univers forêt / Jeudi 19 / De la transe chamanique à la transe cognitive / Corine Sombrun et Francis Taulelle

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